Manifeste
Des territoires, des hommes, des procédés constructifs
Innovation adaptée, innovation appropriée.
L'éco-construction face aux défis d'une certaine modernité,
de la résilience des architectures oasiennes.
L’architecture est un condensé de lignes, empreintes de formes et de tracés, laissées par l’Homme sur la surface de la terre, au moment où il s’installe en un lieu donné, au moment où il choisit son lieu de vie. Au Maroc se côtoient, dans des milieux hostiles où l’eau est rare, des sociétés de semi-transhumants, de grands nomades, des sociétés de sédentaires, toutes communautés liées entre elles. Des tentes nomades aux architectures des oasis, se lisent les tracés de lignes, voies empruntées à différents moments de l’année, chemins de parcours, sentiers de cluses, sequias de canaux, routes caravanières qui viennent relier les espaces entre eux et qui invitent surtout à déplacer son regard vers la matière fabriquée, de la tente filée à l’urbanisme oasien, du paysage à l’architecture de terre crue ou de pierre. Pénétrer dans la matière architecturale, dans sa fabrication à partir des traces laissées cette fois-ci à une échelle humaine, permet de retrouver ce passage de la main, empreintes et répétitions des modules, linéaments archéologiques aux plans relevés par l’architecture par le passé, continue de nourrir le présent d’une architecture sociale sur laquelle je me concentre depuis bientôt deux décennies.
Les espaces oasiens du fait de leur dimension hautement symbolique constituent des lieux de réflexion sur l’héritage, le présent et le futur des sociétés humaines. Ils attestent de la capacité des hommes à constituer un environnement viable et vivable durant des siècles malgré les contraintes climatiques extrêmes. Agriculture et construction y sont étroitement liées autour de la pierre, de la terre, du palmier. Ils sont donc une source d’inspiration pour réfléchir à la durabilité des constructions contemporaines.
Associer la dimension anthropologique du patrimoine est pour moi la seule réponse à notre héritage, encore “vivant”. L’intervention sur le bâti rural ancien m’intéresse particulièrement dans sa dimension nourricière : passer du “contemporain” au patrimoine m’est naturel : la documentation inédite sur les ksours, kasbahs et greniers collectifs et de valorisation de ces ensembles bâtis dans leurs paysages, permet ensuite en effet de savoir rebondir dans le social.
Face aux bouleversements du monde, au changement climatique, à la perte des repères ou à une éthique quotidienne faite de simplicité et de respect d’autrui, il est temps de se retourner derrière soi pour mieux considérer l’avenir. L’heure aux plaidoyers est terminée, il faut passer à l’action. Il est temps aujourd’hui de comprendre la valeur avant tout climatique de cette architecture dans son écosystème judicieux de l’oasis, comprendre que nous pouvons — et devons ! — retirer des enseignements de d’embrasser notre héritage matériel et immatériel avec une conscience réelle de sa valeur pour les générations à venir.
La reconnaissance d’une architecture responsable, de qualité, soucieuse des enjeux sociaux, économiques et environnementaux est au cœur de ma démarche, depuis plus de 15 ans. Non sans mal. Qu’il s’agisse de logements, ou de bâtiments publics, pour nous montrer que cette voie est plus que possible : nécessaire.
Edifier pour des classes très privilégiées, déjà convaincues, répondre à un programme lucratif d’une fondation internationale prestigieuse qui ne se coltinera pas le circuit des autorisations, n’a aucun autre impact que le contentement narcissique. On reste entre happy few déjà convaincus. Se coltiner les administrations, lutter contre le tout béton armé qui a la faveur actuelle des pouvoirs publics, alors qu’il est inadapté, pour ensuite nouveau lutter pied à pied contre les bureaux d’études refusant les techniques exigeantes issues de la nature, puis construire des CPS qui respectent une loi non prédisposée à les employer (malgré quelques souplesses récentes). Ensuite, il faudra tout au long du chantier former et exiger. S’opposer aux linteaux de béton que l’entreprise veut placer contre l’architecte, exiger une chaux de qualité issue d’une vraie carrière (donner les adresses, convaincre), faire venir des maçons expérimentés déjà formés dans des chantiers de restauration de monuments. Intervenir avant qu’un contremaitre croyant bien faire, rajoute du ciment blanc ou fassent prenne d’autres mauvaises décisions croyant bien faire. (D’ailleurs que peut connaître une femme de la construction, franchement !?) Il faudra être présente tout au long du chantier, des chantiers souvent inaccessibles, dans des lieux enclavés, aux routes longues se terminant parfois par des pistes…
Oui, il s’agit bien de réinvestir les techniques dites vernaculaires au profit d’un vrai développement soutenable (maternités, centres culturels, foyers féminins, écoles etc.) – le mot est galvaudé – : pour toucher ainsi une frange de la population non consciente de ces enjeux tout en réduisant l’impact destructeur de l’architecture standardisée actuellement généralisée.
Et ce ne sont pas les « désirs de modernisation », fausses sollicitudes, qu’il faut combattre mais bien ceux qui veulent le tout béton. Car construire en pierre et en terre revient au tiers du prix coûtant (alors que le béton est subventionné à divers titres de sa fabrication) et nos calculs ne comptabilisent ni les coûts de pollution ni les externalités positives créatrices d’emploi. Mais les perdants sont ceux qui ne peuvent se payer sur la bête… Alors la lutte est sourde certes mais la lutte est bien là.